Ce mois-ci nous allons parler d’un mets responsable de l’une des plus grandes guerres de la littérature française : la célèbre guerre picrocholine !
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La guerre picrocholine.
Oui, picrocholine.
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Comment ça, vous ne connaissez pas la guerre picrocholine ?
Bon, mettez-vous à l’aise, munissez-vous d’une tasse de thé ou de chocolat chaud et laissez-moi vous conter une petite histoire.
Enfin non, ce n’est pas moi qui vais vous raconter cet épisode fâcheux mais un certain François Rabelais.
Je lui laisse la parole :
En cestuy temps, qui fut la saison de vendanges, au commencement de automne, les bergiers de la contrée estoient à guarder les vines et empescher que les estourneaux ne mangeassent les raisins.
Onquel temps les fouaciers de Lerné passoient le grand quarroy, menans dix ou douze charges de fouaces à la ville.
Lesdictz bergiers les requirent courtoisement leurs en bailler pour leur argent, au pris du marché. Car notez que c’est viande celeste manger à desjeuner raisins avec fouace fraiche, mesmement des pineaulx, des fiers, des muscadeaulx, de la bicane, et des foyrars pour ceulx qui sont constipez de ventre, car ilz les font aller long comme un vouge, et souvent, cuidans peter, ilz se conchient, dont sont nommez les cuideurs des vendanges.
À leur requeste ne feurent aulcunement enclinez les fouaciers, mais (que pis est) les oultragerent grandement, les appelans trop diteulx, breschedens, plaisans rousseaulx, galliers, chienlictz, averlans, limes sourdes, faictneans, friandeaulx, bustarins, talvassiers, riennevaulx, rustres, challans, hapelopins, trainneguainnes, gentilz flocquetz, copieux, landores, malotruz, dendins, baugears, tezez, gaubregeux, gogueluz, claquedans, boyers d’etrons, bergiers de merde, et aultres telz epithetes diffamatoires, adjoustans que poinct à eulx n’apartenoit manger de ces belles fouaces, mais qu’ilz se debvoient contenter de gros pain ballé et de tourte.
Auquel oultraige un d’entr’eulx, nommé Frogier, bien honneste homme de sa personne et notable bacchelier, respondit doulcement :
« Depuis quand avez vous prins cornes qu’estes tant rogues devenuz ? Dea, vous nous en souliez voluntiers bailler, et maintenant y refusez. Ce n’est faict de bons voisins, et ainsi ne vous faisons nous, quand venez icy achapter nostre beau frument, duquel vous faictez voz gasteaux et fouaces. Encores par le marché vous eussions nous donné de noz raisins ; mais, par la mer Dé ! vous en pourriez repentir et aurez quelque jour affaire de nous. Lors nous ferons envers vous à la pareille, et vous en soubvienne ! »
Adoncq Marquet, grand bastonnier de la confrairie des fouaciers, luy dist :
« Vrayement, tu es bien acresté à ce matin ; tu mangeas her soir trop de mil. Vien çà, vien çà, je te donnerai de ma fouace ! »
Lors Forgier en toute simplesse approcha, tirant un unzain de son baudrier, pensant que Marquet luy deust deposcher de ses fouaces ; mais il luy bailla de son fouet à travers les jambes si rudement que les noudz y apparoissoient. Puis voulut gaigner à la fuyte ; mais Forgier s’escria au meurtre et à la force tant qu’il peut, ensemble luy getta un gros tribard qu’il portoit soubz son escelle, et le attainct par la joincture coronale de la teste, sus l’artere crotaphique, du cousté dextre, en telle sorte que Marquet tomba de sa jument ; mieulx sembloit homme mort que vif.
Cependent les mestaiers, qui là auprés challoient les noiz, accoururent avec leurs grandes gaules et frapperent sus ces fouaciers comme sus seigle verd. Les aultres bergiers et bergieres, ouyans, le cry de Forgier, y vindrent avec leurs fondes et brassiers, et les suyvirent à grands coups de pierres tant menuz qu’il sembloit que ce feust gresle. Finablement les aconceurent et ousterent de leurs fouaces environ quatre ou cinq douzeines ; toutesfoys ilz les payerent au pris acoustumé et leurs donnerent un cens de quecas et troys panerées de francs aubiers. Puis les fouaciers ayderent à monter Marquet, qui estoit villainement blessé, et retournerent à Lerné sans poursuivre le chemin de Pareillé, menassans fort et ferme les boviers, bergiers et mestaiers de Seuillé et de Synays.
Ce faict, et bergiers et bergieres feirent chere lye avecques ces fouaces et beaulx raisins, et se rigollerent ensemble au son de la belle bouzine, se mocquans de ces beaulx fouaciers glorieux, qui avoient trouvé male encontre par faulte de s’estre seignez de la bonne main au matin, et avec gros raisins chenins estuverent les jambes de Forgier mignonnement, si bien qu’il feut tantost guery.
Gargantua, chapitre XXV
Merci François. Je vais continuer, si tu me le permets.
Suite à cette mésaventure, les fouaciers s’en retournèrent à Lerné se plaindre des bergers de Grandgousier (le père de Gargantua) à leur roi Picrochole. Celui-ci décide alors de se venger en lançant une attaque sur le royaume de Grandgousier.
Et ainsi débuta la guerre picrocholine. Tout ça pour quelques fouaces…
Et là, vous vous demandez : « Mais c’est quoi une fouace ? »
Vous posez beaucoup de questions aujourd’hui !
Pour faire simple, la fouace est un pain cuit au four. C’est une spécialité que l’on retrouve dans de nombreuses régions françaises.
Dans le pays nantais, il s’agit d’une sorte de pain briochée sucrée en forme d’étoile. En Aveyron, un gâteau en forme de couronne. Etc.
La fouace qui nous intéresse ici est la fouace tourangelle. C’est une sorte de petit pain briochée, peu sucrée, mais fort épicée.
Recette pour une quinzaine de fouaces :
J’ai découvert cette recette via le formidable blog de Sandra que je ne peux que vous conseiller.
- Ingrédients :
- 550 g farine T45 tamisée
- 2,5 càc levure sèche instantanée ou 20 g levure fraîche de boulangerie
- 1,5 càc sel
- 150 g miel
- 5 œufs
- 1 càc safran
- 1 càc cannelle
- 10 cl lait
- Environ 85 g noix hachées grossièrement (vous pouvez aussi utiliser des noix pilées)
- 70 g beurre froid
- 1 œuf battu avec une pincée de sel
- Quelques cerneaux de noix ou du sucre en grains
- Réalisation :
Dans un saladier ou le bol du robot, mélangez la farine tamisée avec la levure sèche et le sel (si vous utilisez des noix pilées, ajoutez-les).
Creusez une fontaine et versez-y les œufs, le miel, la cannelle, le safran et le lait (si vous avez choisi de la levure fraîche, émiettez-la à ce moment).
Mélangez en partant du centre et en incorporant petit à petit la farine.
Continuez jusqu’à ce que la pâte se décolle des parois et commence à former une boule. N’hésitez pas à rajouter de la farine si la pâte est trop collante (pour info, lors de la réalisation de la recette, j’ai du ajouter plus de 100 g de farine supplémentaire).
Ajoutez ensuite le beurre coupé en petits morceaux et continuez à pétrir jusqu’à ce qu’il soit bien incorporé dans la pâte.
Ajoutez les noix hachées et encore une fois, pétrir pour bien les incorporer.
La pâte doit être légèrement collante et souple.
Couvrir et laisser reposer environ 1 h.
Là, deux options s’ouvrent à vous : soit vous travaillez la pâte immédiatement, soit vous la rabattez et vous la mettez au frigo pour la laisser pousser toute une nuit. Je vous conseille la deuxième solution, car ainsi la pâte sera plus facile à travailler et les arômes auront eu plus de temps pour se développer.
Dégazez ensuite la pâte en la repliant deux ou trois fois sur elle-même. La pâte étant assez collante, vous pouvez vous aider d’un coupe-pâte, sinon pensez à fariner vos mains.
Divisez-la en 15 morceaux.
Façonnez-les en boules et déposez-les sur des plaques de cuisson recouvertes de papier sulfurisé.
Couvrir avec un torchon et laisser lever 1 h environ.
Badigeonnez les fouaces à l’œuf battu avec une pincée de sel et parsemez de sucre en grains ou de cerneaux de noix. Faites cuire environ 25 minutes dans un four préchauffé à 165°.
Et laissez refroidir sur une grille.
Ces fouaces, étant peu sucrées, s’accommodent à merveille avec du fromage, du foie gras ou, comme les bergers de Grandgousier, avec du raisin.