À la rencontre de #27 – Benoît Tadié

Demain, nous mettons à l’honneur le polar lors d’un vendredi thématique.

À cette occasion, un de nos partenaires est la collection Quarto des éditions Gallimard.

Benoît Tadié répond à nos questions : il a dirigé le volume consacré à l’auteur américain Horace McCoy.

 

(c) nuvol.com

 

Benoît Tadié, vous êtes professeur de littérature américaine à l’Université Paris-Nanterre. Un de vos champs d’étude est le roman policier américain. En quelques mots, comment décririez-vous ce genre littéraire ?

Le roman policier américain a donné naissance à une tradition particulière: le roman hard-boiled (« dur à cuire ») ou noir. Le roman noir ne met pas l’accent sur des énigmes complexes résolues par des détectives privés cérébraux, comme le Dupin de Poe ou le Sherlock Holmes de Conan Doyle, mais sur le monde criminel envisagé de manière réaliste, avec sa population interlope, sa violence et aussi sa modernité. Il naît à l’âge de la Prohibition (1920-1933), quand les gangsters s’enrichissent grâce au trafic d’alcool, corrompent la société de bas en haut et prennent parfois le contrôle de villes entières, comme Al Capone à Chicago. Si le roman noir évolue ensuite, il continue de montrer une société gangrénée par le crime et la corruption. C’est donc une littérature plus sombre et pessimiste que le roman à énigme classique. Mais elle est pleine d’action et d’émotions, dynamique, inventive sur le plan stylistique, et fait la part belle aux auteurs sortis du rang et à la langue de la rue, au slang.

 

Vous dirigez le volume Quarto dédié à Horace McCoy. Cet auteur et scénariste américain est né dans le Tennessee en 1897 et décédé en 1955 en Californie. Son œuvre se compose de romans et de nombreuses nouvelles. Par quel texte conseillez-vous de commencer à découvrir cet écrivain, et pourquoi ?

Je commencerais par le premier texte du recueil, c’est-à-dire On achève bien les chevaux (1935), un des sommets de l’œuvre de McCoy. Ce qui est frappant dans ce roman, c’est la vision de l’Amérique pendant la crise, représentée par un marathon de danse où des figurants qui n’ont pas réussi à percer à Hollywood jouent leur va-tout, dans le vain espoir de ramasser quelques dollars ou de se faire repérer par un producteur. Le roman montre l’écrasement de l’individu par un monde injuste, mais aussi son courage et sa capacité de résistance. Et la place d’honneur, une fois n’est pas coutume (dans le roman noir), est occupée par un personnage féminin, Gloria, qui contrairement à son comparse, le narrateur, a une vision des choses aussi sombre que lucide. Bref, c’est un roman poignant et qui ne ressemble à aucun autre. Une fois qu’on a lu celui-là, je pense qu’on n’a plus envie de lâcher McCoy. On peut alors découvrir les multiples facettes de son œuvre, entre réquisitoires contre l’injustice, récits sur Hollywood et aventures criminelles pures et dures. Comme le démontre le volume Quarto, il y a chez lui une étonnante capacité de renouvellement. Ses textes ne se ressemblent pas, même si on trouve des obsessions récurrentes d’un bout à l’autre du volume.

 

Quelle a été l’influence de Horace McCoy sur le cinéma hollywoodien ?

On peut envisager l’apport de McCoy au cinéma hollywoodien de plusieurs façons. D’abord, il y a son travail comme scénariste dans les studios. De ce point de vue le bilan est assez mince, ce qui est d’autant plus regrettable que McCoy avait une haute idée du cinéma comme art (dont témoignent ses romans On achève bien les chevaux et J’aurais dû rester à la maison). Mais il n’a malheureusement guère eu l’occasion de travailler avec de grands metteurs en scène, sauf pour deux films : Gentleman Jim de Raoul Walsh et Les Indomptables (The Lusty Men) de Nicholas Ray. Deuxièmement, il y a l’adaptation de ses romans au cinéma. Là encore, son parcours a été jalonné de déceptions : les deux romans qu’il espérait le plus voir porter à l’écran, On achève bien les chevaux et Un linceul n’a pas de poches, ne le seront qu’après sa mort, respectivement par Sidney Pollack (un beau film de 1969) et Jean-Pierre Mocky. Citons quand même le film adapté d’Adieu la vie, adieu l’amour… (Le fauve en liberté) de Gordon Douglas (1950), dont est tirée la photo de couverture du volume Quarto, qui est un bon film noir, avec un extraordinaire James Cagney dans le rôle principal, celui d’un tueur psychopathe. En réalité, l’influence de McCoy est plus intangible : étant l’un des grands pionniers du roman noir il a, avec d’autres auteurs comme Dashiell Hammett, W. R. Burnett, Raymond Chandler, Cornell Woolrich, James M. Cain et plus tard David Goodis, contribué à créer une sensibilité propre à cette forme de littérature (univers sombres, personnages marginaux, rencontres éphémères et tragiques, éruptions de violence, monologues de personnages au bout du rouleau), que le film noir a, par la suite, admirablement traduite en images et en sons.

 

Pourquoi Horace McCoy est-il un auteur qu’il faut lire et relire, surtout à notre époque ?

En relisant McCoy, comme les autres auteurs que je viens de citer, on se dit qu’il n’y a rien de nouveau sous le soleil et que bien des gloires actuelles n’ont rien inventé… La couleur noire des romans de McCoy n’a pas pâli depuis bientôt un siècle. Le monde qu’il décrit est encore le nôtre, un monde en crise où des individus se débattent comme ils peuvent. On peut, sur ce point, rappeler ce que disait Jean-Patrick Manchette, dans ses entretiens qui viennent d’être réédités : « Il me semble qu’on essaie de critiquer le monde et que le roman hard-boiled américain et le roman noir veulent encore dire des choses sur l’état de gestion du monde. »

 

Nous invitons chaque semaine les internautes à partager leur #MardiConseil. Quel est le meilleur conseil de lecture que vous avez reçu et/ou donné ?

Mon conseil de lecture du moment, c’est le volume Quarto de Horace McCoy, bien sûr.

 

Chaque début de semaine, nous posons #LaPetiteQuestionDuLundi à nos participants. La plus fameuse d’entre elles est la suivante : Avec quel personnage de la littérature voudriez-vous être coincée dans un ascenseur ? Et pourquoi ?

Avec Shéhérazade, pour passer le temps en attendant l’arrivée des dépanneurs.

 

 

Merci d’avoir répondu à nos questions, Benoît Tadié !