Demain, les éditions L’Ire de l’Ours vous offrent plusieurs titres de leur catalogue. À cette occasion, une des autrices, Florence Salit, a répondu à nos questions.
Bonjour Florence. Vous avez publié une thèse de géographie sur les digues et les inondations en Roumanie. Comment passe-t-on d’un travail universitaire à une production littéraire ? Des liens sont-ils possibles entre ces deux formes très différentes d’écriture ?
Bonjour !
Ce sont deux activités dissociées pour moi. L’une est mon travail pour lequel j’ai beaucoup de passion. L’autre est ma passion qui me demande beaucoup de travail. Les liens entre les deux ne sont pas évidents car l’écriture scientifique et celle que l’on appelle créative requièrent des compétences radicalement différentes, parfois opposées. Mais quelques éléments peuvent se rejoindre, comme la rigueur ou la structure. Seulement, j’avoue volontiers prendre beaucoup plus de plaisir à écrire des nouvelles ou des romans.
Lauréat en 2021 du prix du concours Les murmures littéraires dans la catégorie Contemporains, L’ours est votre premier roman. Comment est né le personnage de Gabriel, cet individu asocial qui est contraint de revoir ses certitudes et sa vision du monde ?
Gabriel et son histoire sont une synthèse de ce que j’ai pu connaitre en débutant l’écriture : les communautés d’écrivains, de bêta-lecteurs, le monde de l’édition vu de l’extérieur… J’avais l’impression de découvrir un tout nouvel univers, une sphère cachée du livre. Et je voulais aussi casser un peu les préjugés ou idées préconçues sur les auteurs, même amateurs, surtout sur le travail qu’un livre représente, les désillusions comme les rencontres magnifiques. Un auteur n’est pas seulement quelqu’un qui se pose devant son ordinateur et écrit, c’est un être qui pense à ses personnages, les construits, essaie, partage ses idées, revient dessus. Il regarde le monde différemment que ces livres soient vendus ou non. Gabriel, par son parcours nous montre tout ça. Il est tranchant, sans détour, et ose dire ce que beaucoup pensent tout bas.
Votre courte biographie, sur le site de votre éditeur (L’Ire de l’Ours), indique que l’écriture est pour vous une évasion, une passion et un exercice quotidien. Que gardez-vous de ce que vous écrivez chaque jour ? Préparez-vous un nouveau texte ?
Je garde tout ! J’ai des dossiers, des carnets, des fichiers en pagaille, dont les plus anciens datent des premiers mois où j’ai été capable de tenir un crayon. Ce n’est pas tant que je vais les utiliser un jour, mais ils représentent comme un instantané d’une période. Et quand je m’y replonge, je revis des périodes révolues. La plupart du temps, je n’en fais rien. Je n’arrive pas à retravailler un texte ancien, il est inscrit dans une époque, un autre moi. Ce serait comme vouloir modifier une image passée. Donc soit je réécris tout, soit je passe à une autre idée. J’ai des textes « en cours » et les autres sont des archives.
Et comme pour moi, l’écriture et les textes sont un échange, un partage, je garde aussi les textes de ceux que j’ai la chance de beta-lire, les commentaires faits, les épreuves, les débats. Je garde nos échanges comme une fenêtre sur notre lien.
Quand je dis que j’écris tous les jours, j’aurais dû dire que je réfléchis à l’écriture tout le temps, à un personnage, à une scène ou plus simplement à une formulation. Sur mes textes, ceux de mes amis, ou pour des textes que je lis pour des concours. Je travaille mon écriture en lisant, en me corrigeant, en corrigeant d’autres.
En ce moment, je travaille sur un huis-clos. C’est un exercice qui m’a toujours tentée et je me suis lancée avec ce roman de science-fiction. Deux personnages se retrouvent coincés, dans le noir, dans un ascenseur. Ce que j’aime dans cette histoire, c’est le défi d’écrire tout dans le noir et sans pouvoir sortir de cette cabine. Je suis obligée de tout anticiper. La structure est essentielle. Et je dois aussi trouver des moyens de faire parvenir des informations sur l’extérieur, sur les personnages. Tout ça en réussissant à faire passer des émotions ! C’est un véritable exercice, plus que stimulant et dont j’espère, le résultat sera à la hauteur.
Nous invitons chaque semaine les internautes à partager leur #MardiConseil. Quel est le meilleur conseil de lecture que vous avez reçu et/ou donné ?
À 12 ans, mon père m’a mis entre les mains Malevil de Robert Merle. Jusque-là, je lisais surtout des Agatha Christie, de la poésie, quelques livres obligatoires pour l’école, mais sans grande conviction. Un roman était, pour moi, l’histoire d’une autre époque, écrit comme on ne parle plus. Quand j’ai refermé Malevil, j’ai eu un véritable déclic : non seulement j’ai découvert ce qu’était vraiment un roman, ce qu’il produisait comme sensation, mais j’ai ouvert les yeux sur la SF. J’ai été absorbée du début à la fin, je vivais l’histoire, j’entendais les personnages. Je comprenais enfin pourquoi les gens autour de moi plongeaient dans des livres. Les livres, ce n’étaient pas seulement sérieux ou obligatoires, sur un passé révolu ou avec un vocabulaire suranné, c’était un nouveau monde qui prenait vie à chaque fois. Depuis, je n’ai jamais pu m’arrêter.
Chaque début de semaine, nous posons #LaPetiteQuestionDuLundi à nos participants. La plus fameuse d’entre elles est la suivante : Avec quel personnage de la littérature voudriez-vous être coincée dans un ascenseur ? Et pourquoi ?
C’est une question difficile. Je suis plus attachée aux relations entre les personnages, à l’intrigue qu’à un héros en particulier. Les héros me plaisent, mais ce que je retiens c’est avant tout l’univers et les interactions entre les personnages. Seulement, il faut choisir ! J’hésiterais entre deux : Emmanuel, le héros de Malevil, une figure charismatique et pourtant si simple, mais j’ai déjà parlé de ce livre. Alors, je choisirai Frank Bassa, un héros moins connu, le personnage principal de Sphère de Florent Rigout. Il représente, pour moi, un des héros les plus aboutis et le mieux construit que j’ai pu lire. Il est complexe, bourru, vrai et alors qu’il ne fait preuve d’aucune finesse, ce personnage a été véritablement ciselé. On est dans sa tête, on le comprend, on veut le protéger comme on aimerait qu’il nous embarque dans son monde.
Et je l’amène dans cet ascenseur en panne, déjà parce qu’il me ferait rire et que j’adore ça ; aussi parce qu’il a un côté rassurant. Il est pragmatique, plein de ressources, c’est une gueule cassée auprès de qui on sait qu’on ne risque rien. Quoique… il est claustrophobe. Non, finalement je vais prendre les escaliers !
Merci pour vos réponses, Florence !